• Mercredi 15 septembre 2010 : Démonstration de l'hospitalité kirghize

    Dans un décor aussi somptueux, la nuit a été des plus paisibles et je me suis laissé bercer par le bruit du courant. Pourtant, dans peu de temps, Dame Nature nous réserve encore quelques surprises que rien ne laisse présager avant de partir. 

    Nous quittons Youri et Lena après avoir replié nos tentes et partons nous promener deux heures durant au milieu d'une toile de maître. Elle conjugue harmonieusement une large palette de couleurs allant du vert de l'eau à l'azur du ciel en passant par le rouge argileux ou le blanc du calcaire.

    Au bord de la rivière Kokomeren

    Sur une faible distance, contenue dans notre champ de vision, les montagnes se parent des formes les plus diverses : sommets acérés ou émoussés, roches superposées ou juxtaposées, fractures tectoniques dans lesquelles se lit l'histoire de notre planète ou concrétions calcaires éphémères s'effritant sous les coups de boutoir d'un climat capricieux...

    Au bord de la rivière Kokomeren Au bord de la rivière Kokomeren 

    N'est-il pas plus heureux et plus riche celui qui habite et chemine toute l'année dans cet environnement par rapport à ma vie de citadin au coeur d'une morne capitale ?

    Et que sommes-nous au milieu de cette étendue ? Au plus, un vulgaire grain de poussière mais suffisamment gênant pour contrecarrer l'oeuvre créatrice de la nature et nuire à ces paysages somptueux.

    Infiniment petit et infiniment grand

    Contentons-nous donc de rester simples admirateurs à l'image de cet oiseau farceur qui n'acceptera pas de se laisser photographier en vol. Pourtant le dessous de ses ailes cache une autre surprise : des reflets bleus étincelants.

    Oiseau aux ailes bleutées

    Ayant longtemps flânés dans ce décor, notre minibus nous rattrape à l'entrée d'une petite bourgade nommée Aral. Celle-ci se trouve à la confluence de deux cours d'eau dont les teintes différentes fusionnent en quelques mètres. Nous filons à présent sur Chaek pour nous ravitailler. Il s'agit d'une petite ville de 3000 habitants. Pendant que Lena sélectionne et rassemble les vivres, nous parcourons quelques stands de commerçants.

    Commerçants de Chaek

    Nous rendons également visite à une commerçante parlant français et pour qui "c'est un honneur de nous parler". Mais c'est tout autant le cas pour nous Madame ! Elle a appris notre langue pendant 5 ans à l'université de Bichkek et se fait une joie à chaque fois qu'elle a l'occasion de la pratiquer. Sa boutique proposant beaucoup de sucreries, cigarettes et boissons, je craque pour une tablette de chocolat (bonjour, je m'appelle P. et ça fait 15 jours que j'ai arrêté le chocolat . Mais je suis arrivé à Chaek et j'ai replongé ...).

    Commerçante parlant français et vendeuse de chocolat

    Nous traversons la rue pour rejoindre le véhicule. En attendant le retour de Léna, je regarde le va-et-vient des écoliers. Comme pour mes derniers voyages en Asie, je suis surpris par la belle tenue des enfants. Eux au moins ne sont pas sponsorisés par Kiabi ou Monoprix.

    Ecolières

    Je marque une pause dans mon récit de la journée pour aborder le thème de l'éducation. La scolarisation débute à 6 ans et est théoriquement obligatoire jusqu'à 17 ans. Mais dans une économie nomade et pastorale, le caractère obligatoire est un défi irréaliste : c'est pourquoi, dans les faits, des enfants restent encore en marge du système scolaire. Le jeune passe ensuite (s'il a de la chance) un examen très sélectif pour entrer à l'université. Le bac s'obtient en 4 ans. Après une année supplémentaire, on peut décrocher un diplôme supérieur puis plus tard la maîtrise et le doctorat. Les études peuvent être entrecoupées par le service militaire qui dure 1 an aujourd'hui contre 2 ans il y a encore quelques années.

    Nous reprenons la clé des champs dans un paysage verdoyant. Après avoir avalé notre pique-nique, nous nous faufilons au milieu des collines de velours pour rejoindre la gorge de Karakache, halte du jour.

    Prairie après Chaek Approche de la gorge de Karakache

    A proximité de semi-nomades, nous installons notre second campement. Je prends quelques minutes et réquisitionne un peu de monde pour réparer la porte de ma tente (celle qui ferme mal et qui n'est pas gardée la nuit) à la force des dents.

    Puis je profite des "animations" environnantes : je mitraille un papillon butinant de fleur en fleur  (je me suis encore plus excité que pour les yaks au Népal ... donc si vous souhaitez une de mes 372 156 photos de papillon qui butine, n'hésitez pas), regarde passer et tente d'approcher un troupeau de chevaux puis un autre d'ovins et de caprins.

    Papillon Chevaux Nomade rabattant son troupeau Nomade rabattant son troupeau

    Sur la fin d'après-midi, nous partons nous aventurer dans la gorge pendant 1 heure environ en longeant un cours d'eau. Les premiers arbres apparaissent sur les bas-côtés et même une petite forêt  avant de rebrousser chemin.

    Des arbres !

    Pendant que nous rentrons, j'en profite pour passer une nouvelle fois du coq à l'âne en parlant du mariage traditionnel et de sa conséquence directe : le divorce (enfin, c'est comme ça en Europe en tout cas ...).

    La cérémonie du mariage dure 3 jours au Kirghizistan. Le premier jour, les mariés sont derrière un rideau (Non ce n'est pas le Juste Prix). Les voisins et amis leur apportent des cadeaux qu'ils font passer par-dessus la tenture. Ils ont en échange le droit de voir les mariés (imaginez la déception lorsque les mariés sont moches ...). La famille du marié offre à celle de la femme du bétail : 1 vache, un cheval et 2 ou 3 moutons; mais également de l'argent (1000$) ... En retour, la femme apporte chez sa belle-famille du tissu, du feutre, de la vaisselle ... Les familles peuvent également dans certains cas offrir au nouveau couple un logement ou une voiture. L'union est officialisée devant un imam ou un équivalent puis vient la cérémonie administrative où s'échangent les alliances.

    Concernant le divorce : il est bien sûr plus courant en ville que dans les campagnes plus conservatrices. Dans ce dernier lieu, les femmes sont stigmatisées et éprouvent de grandes difficultés à se remarier contrairement au mari bien sûr ! Vous ne vous étiez quand même pas inquiété pour lui ? Parfois la femme peut (lire "doit") porter un voile surtout en présence d'anciens pour signifier qu'elle est mariée.

     

    Pendant que vous lisiez le paragraphe précédent, j'ai pressé le pas sur le chemin du retour et ai ainsi eu le temps de prendre une douche dans la rivière. (Je vous ai bien eu !) Je vais ainsi pouvoir danser toute la soirée devant mes compagnons de route pour me réchauffer.

    A mon retour du frigo, le guide nous annonce que la famille de semi-nomades à côté de laquelle nous sommes installés nous invite à venir les voir et à partager un moment de découverte réciproque. Première démonstration de l'hospitalité kirghize qui n'est pas un vain mot comme nous aurons l'occasion de le voir. Autour d'un bol de yaourt, nous entrapercevons un fragment du quotidien de cette famille d'éleveurs de bovins qui monte dans les alpages entre mai et début octobre. La grand-mère est arrivée quelques jours avant le déménagement à Chaek pour l'hiver. 3 enfants gambadent dans la maison et découvrent les sucreries offertes par Azamat : 2 filles de 6 ans et 2 ans et un garçon de 4 mois. L'intérieur de leur habitation est relativement sobre : quelques tapis et peaux de bêtes couvrent partiellement un sol en bois et un seul meuble (en dehors de la table) emplit l'espace, il fait office de poêle et de cuisinière.

    Avec ses instants chaleureux en tête, je sombre lentement dans les bras de Morphée en espérant que la journée de demain soit au moins aussi bonne...


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  • Jeudi 16 septembre 2010 : nuit sous la yourte et découverte de Spoutnik

     Ce matin après le petit-déjeuner et le pliage des tentes, nous sommes de nouveau attendus chez la famille semi-nomade d'hier soir. Ils aimeraient bien qu'on les prenne en photo et qu'on leur fasse parvenir les clichés. Ce sera chose faite d'ici quelques jours non seulement pour eux mais pour tous les locaux qui m'ont touché au cours de ces pérégrinations.

    Famille à l'entrée de la gorge de Karakache Famille à l'entrée de la gorge de Karakache Famille à l'entrée de la gorge de Karakache

    Après ces quelques prises que nous leur montrons sur nos écrans LCD, nous retournons à l'intérieur voir une machine plutôt étrange : elle permet de séparer le lait de la crème. La famille possède un troupeau de 6 vaches qui lui donnent quotidiennement 20 litres de lait en plusieurs traites. Le lait encore chaud voire réchauffé est versé dans cette machine où il passe par un filtre. La crème, plus lourde, va au fond et sort d'un côté de l'appareil tandis que le lait allégé s'écoule d'un autre côté. La machine nécessite une intervention humaine pour faire tourner une manivelle. 10 litres de lait permettent de produire 1 litre de crème.

    Séparation du lait et de la crème  

    La crème peut être consommée telle que ou être chauffée au chaudron pour fabriquer le beurre.

    Pour élaborer un fromage, il faut attendre 5 à 6h après la traite. Le lait est ensuite passé dans un sac à mailles fines qui laisse couler le petit lait. La pâte retenue par le sac est ensuite laissée à sécher sur le toit avant de confectionner des boules de fromage comme nous le verrons d'ici quelques paragraphes.

    Le fromage peut être utilisé comme ferment pour préparer le yaourt tandis que le petit lait est laissé à fermenter pour donner une boisson légèrement alcoolisée.

    Avec ces explications succinctes mais fort intéressantes, nous quittons nos hôtes pour repartir sur les sentiers kirghizes. La piste que nous suivons doit nous emmener au sommet d'un col débouchant sur le lac Song Koul. Mais c'est également la route menant à une grande mine à ciel ouvert balafrant le paysage montagnard. Et cette piste est fréquentée jour et nuit par des camions se rendant ou revenant de la mine.

    Mine balafrant le paysage

    Franchi le sommet de ce massif, nous apercevons au loin l'étendue bleutée du Song Koul se détachant d'un océan de steppe et de collines. Quelques yourtes ponctuent cette fresque, semblables à quelques champignons blancs sortis du sol.

    Arrivée au Song Koul Arrivée au Song Koul Arrivée au Song Koul - Yourtes

    Le Song Koul est une étendue lacustre s'étendant sur 20km de long et 12km de large mais il est très peu profond (15m maximum). Il se situe un peu au-dessus des 3000m et est donc gelé une partie de l'année sur une épaisseur de 3 mètres. Les véhicules peuvent alors passer dessus sans risque. Le lac est ceint d'une couronne de montagnes culminant à plus de 4000 mètres pour les plus hautes.

    Nous rejoignons le bord du lac et nous arrêtons chez Tolkun, Zamira et Jooker. Ils possèdent quatre yourtes et en mettent trois à notre disposition. Tolkun est une jeune fille de 16 ans environ qui est venue aider quelques jours son père Jooker alors qu'elle devrait encore être sur les bancs de l'école. Quant à sa mère, Zamira, elle est actuellement absente et son retour nous est annoncé pour le lendemain.

    Notre camp de yourtes au Song Koul Tolkun Jooker 

    Nous nous installons dans le camp à trois sous la grande yourte, JC dans la petite et Youri et Lena dans le camion. Ils ne s'en extirperont qu'à deux reprises durant le voyage. 

    Je ne reviendrai pas sur le montage de la yourte que j'ai déjà expliqué en détails et photos à l'appui sur mon blog de Mongolie. Mais quelques différences existent entre les deux pays : en Kirghizie, le trou pour le poêle est ménagé sur le côté et les 80 perches ont une extrémité inférieure courbée alors qu'elle est droite en Mongolie. Pour le reste, la technique est la même et l'aménagement intérieur également : peu de meubles en général (un coffre pour les habits, une cuisinière/poêle pour le chauffage et la cuisine, une armoire pour mettre les objets de culte et les photos de la famille au fond).

    Intérieur de la yourte

    L'ouverture sommitale est appelée tunduk. Elle sert à faire entrer la lumière dans l'habitation et peut être bouchée en cas de précipitations ou de neige. Elle est barrée par deux rangées de bois entrecroisées. Ce motif est particulièrement symbolique au Kirghizistan et figure d'ailleurs sur le drapeau national.

    Après l'intérieur, nous faisons le tour du propriétaire et ne pouvons éviter plus longtemps la navette spatiale Spoutnik :

    Spoutnik

    Désirant plus que tout devenir touristes de l'espace à bord de cette capsule mythique, nous nous inscrivons auprès de Jooker pour le vol du soir. Hélas les mauvaises conditions météorologiques (vents forts) nous contraindrons à repousser le vol de 12h. Je vous propose en attendant de découvrir en avant-première l'intérieur de notre capsule high-tech : son réacteur à propulsion hydraulique et un siège ergonomique étudié spécialement pour un plus grand confort au décollage.

    Spoutnik - Déouverte de l'intérieur de la capsule

    Comment ça "ben c'est une douche !" ? Vous ne pourriez pas continuer de nous laisser rêver encore un peu ?

    Nous retournons donc près des yourtes de la famille et nous approchons de Tolkun qui prépare de petites boules de fromage appelées kourouts. Installée sur son tabouret, elle prend un morceau de pâte semi-séchée qu'elle roule dans le creux de sa main. Il sera ensuite mis à sécher à l'air libre, éventuellement sur le toit de la yourte. Quant à son goût inimitable et son fort caractère, je vais les décrire dans quelques lignes.

    Camp de yourte Tolkun  

    Toujours en raison du vent, il n'est pas question de faire une promenade à cheval aujourd'hui (pensez-y si Spoutnik doit rester à terre !). Nous nous rabattons alors sur la marche à pied à la rencontre DES nomadeS.

    A la différence des terres cultivées qui sont possédées par leurs exploitants, les pâturages des nomades sont loués pour une durée de 49 ans à un prix de 800 soms par an et par hectare (soit 13,3€). Chacun connaît donc bien l'étendue de sa parcelle et celle de ses voisins.

    Nous atteignons un nouveau "camp" de 4 yourtes ou boz-u (le premier terme "yurt" est russe, "boz-u" kirghiz et "ger" mongol). Une femme nous invite à entrer dans l'une d'elles. L'agencement et la symbolique à l'intérieur sont les mêmes qu'en Mongolie : les invités s'assoient à l'ouest, les femmes à l'est; les deux poteaux qui soutiennent l'anneau du toit sont sacrés et il ne faut rien faire passer au milieu; les personnes installées au fond du boz-u ont plus d'importance que celles près de la porte; le foyer du poêle est également sacré et il ne faut pas y brûler d'impuretés...

    Autre campement nomade

    Nous nous voyons offrir à boire et à manger et, comme nous sommes respectueux des règles de l'hospitalité, goûtons à ces produits. Je vais tenter de vous les décrire. La boisson est nommée kumiss : c'est du lait de jument fermenté, l'équivalent de l'aïrak mongol. Une vraie boisson nationale pour les nomades. Sa saveur principale au départ est celle d'un laitage puis le goût fermenté se manifeste à son tour semblable à l'arôme du saumon fumé. Le tout étant légèrement alcoolisé et fort, je passe mon tour et mes compagnons aussi. En vertu des règles de l'hospitalité, Azamat va donc devoir finir le bol. "C'est toi le Kirghiz quand même ! Courage ! Une gorgée pour maman, une autre pour papa puis une pour chacun de tes 50 cousins et cousines ..."  Notre guide réussira avec brio sa mission mais ce n'est pas encore fini, il faut à présent découvrir enfin le goût de ces boules de fromage. A cette occasion, je vais retrouver toute l'émotion du gâteau au fromage du Platane à Samarkand, 12 jours plus tôt. Déjà ne tentez l'expérience que si vous avez de bonnes dents car le fromage est plutôt dur dans le genre vieille mimolette. Je me mets à croquer gaiement (ça reste des vacances après tout) et le merveilleux effet kiss-cool produit son effet. Un arôme très dominant de sel envahit votre palais puis un arrière-goût de fromage rance. Il ne vous reste alors plus qu'une solution : vous enfiler une barrique de kumiss mais c'est plutôt proscrit pour les occidentaux. Sinon, vous pouvez aussi garder une haleine de phoque toute l'après-midi.

    D'un commun accord avec Azamat, nous décidons de ne pas éprouver davantage la générosité des Kirghizes et de transformer la "rencontre DES nomadeS" en "visite DE nomade(s)". Nous partons ainsi à l'assaut de vallons dont la pelouse mélange différents teintes de vert, l'herbe ayant grillée par endroit. A l'arrière-plan apparaissent des sommets enneigés et un ciel bouché.

    Promenade sur les hauteurs du Song Koul Promenade sur les hauteurs du Song Koul

    Au cours de l'ascension, nous continuons à évoquer la vie locale :

    - la retraite (sujet d'actualité s'il en est) est à 63 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes. Tout au long de la vie active, les travailleurs cotisent (dans le public au moins) et/ou épargnent en prévoyance. En revanche, ce système n'est pas réaliste pour les nomades : ceux-ci travaillent tant que leurs forces leur permettent de le faire. Une fois devenus trop âgés, ils sont entretenus par leur fils cadet qui prend la relève et doit rester vivre avec ses parents. En contrepartie, il héritera de tous les biens sauf du bétail qui sera réparti entre le reste de la fratrie.

    - intimement lié à la vie nomade, il subsiste toujours dans quelques contrées du pays les buu ou chamans. Ceux-ci entrent en transe pour communiquer avec les esprits et pouvoir trouver la solution à des maux ou prédire l'avenir. La cérémonie est très bien décrite par Corine Sombrun dans son ouvrage sur la Mongolie. Mais les buu ont également une autre compétence : ils sont des médecins de talent connaissant parfaitement l'usage de chaque herbe ou plante pour fabriquer des remèdes. Aujourd'hui des charlatans profitent de la crédulité de certains en se faisant passer pour des buu. C'est notamment le cas à Bichkek.

     

    Parvenus au sommet, nous marquons un arrêt pour contempler les alentours et le lac. Ses abords parfois marécageux sont peuplés de grues, de mouettes et de canards. La pêche est pratiquée à cet endroit : pêche à la ligne surtout mais également au filet alors que c'est interdit pour préserver les espèces sous-marines. Certains pêcheurs n'hésitent pas non plus à s'y rendre de nuit en bateau. Mais ils encourent alors un risque de se faire renverser par une vague : diverses noyades ont été enregistrées pour ce motif.

    Promenade sur les hauteurs du Song Koul

    Nous ne sommes pas très haut et pourtant nous pouvons apprécier l'immensité du plateau s'étendant sous nos yeux (je rappelle que la largeur du lac est supérieure à 10km). Les yourtes en bas sont celles où nous avons pu "faire le plein" avant la montée.

     

    L'après-midi n'étant pas encore achevée à notre retour au camp et Spoutnik étant inutilisable aujourd'hui, nous introduisons dans notre quotidien une activité nouvelle qui aura des répercussions sur la vie et le comportement de notre groupe de 6 : le Uno. Pour cette première partie (en 13 manches), Azamat s'impose relativement aisément tandis que je peine à ouvrir le score, ma bonté naturelle m'obligeant à laisser gagner les autres. De temps à autre, nous sortons dehors assister à l'embrassement du paysage par le soleil couchant. Toutes les teintes se mettent à changer.

    Coucher de soleil au Song Koul

    Le repas est pris dans un troisième boz-u mieux équipé pour la cuisine. Là encore, nous inaugurons une nouvelle tâche qui deviendra répétitive : mettre fin aux coupures intempestives de courant dues à un culot de l'ampoule trop petit par rapport au pas-de-vis. Youri nous divertit en faisant monter les enchères pour ceux qui souhaitent recharger leurs batteries d'appareil photo sur celle du camion. Je suis épargné car très bien équipé de ce côté-là. 

    Pour chauffer les boz-u, Tolkun insère régulièrement dans les poêles des bouses séchées. La combustion ne dégage aucune odeur et l'air se réchauffe assez vite, la surface de l'habitation ne dépassant pas les 20m². Nous nous endormons ce soir en toute quiétude avec comme compagnons le crépitement des dernières braises et la danse des flammes sur la toile du boz-u.


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    Vendredi 17 septembre 2010 : Nourgul, la voix du Kirghizistan

    Comme de coutume, je sors un peu plus tôt que les autres pour aller faire ma toilette au bord du lac. Quelle n'est pas ma surprise en ouvrant la porte du boz-u de découvrir un paysage immaculé et des flocons tombant drus. J'avais effectivement entendu ce que je croyais être des averses contre la toile du boz-u mais de là à s'attendre à ça ! Je pars en direction du lac et ne l'atteindrais jamais car les marécages m'en barrent l'accès. Sur le chemin du retour, j'aperçois Tolkun et Jooker s'occuper de la traite.

    Le campement sous la neige Le campement sous la neige

    En écoutant Info Campement, les actualités de notre camp de boz-u, j'apprends avec tristesse que le décollage de Spoutnik ne se fera pas non plus aujourd'hui. Tant pis, l'espace attendra ! A l'issue du petit-déjeuner, nous convenons de quitter le lac à midi plutôt que demain. Mais que faire jusque-là ? La neige nous empêche d'aller marcher car le sol glisse beaucoup. Nous effectuons donc la danse du soleil comme en témoigne les traces autour des boz-u toujours visibles quelques heures plus tard :

    Danse du soleil autour des yourtes

    Apparemment nous maîtrisons partiellement cette science car une accalmie interviendra en fin de matinée. Mais en attendant la neige ne cesse pas de tourbillonner dans les airs.

    Les chaussures trempes (je ne suis parti qu'avec des sandales et des baskets ... -cf questions existentielles-), nous nous réfugions sous la tente disputer un nouveau tournoi de Uno. Le niveau est plus homogène et nous en sommes quasiment tous à 12 partout avant la partie décisive. Hélas, c'est encore Azamat qui l'emporte. Kirghiz tricheur !

    A midi, nous levons le camp pour descendre vers la vallée. La dernière vue sur le lac est magnifique : nous apercevons la base des montagnes enneigées mais leurs cimes disparaissent dans le plafond nuageux.

    Derniers regards sur le Song Koul Derniers regards sur le Song Koul

    Nous disons adieu à nos hôtes et nous élançons sur la piste fangeuse. "Davaï priamo Youri !" (En avant Youri !). Au niveau d'un ultime col basculant sur la vallée, nous entrons dans une mer de nuages gommant le paysage. Notre véhicule avance presque à tâtons tellement la visibilité est réduite. Personnellement, j'espère que personne ne vient en sens inverse car un accident serait vite arrivé. Azamat nous fait tiquer en nous expliquant que le voile laiteux masque une somptueuse forêt. Comment se l'imaginer quand on n'a pas vu plus d'une poignée d'arbres depuis que nous sommes arrivés dans le pays (excepté dans la gorge de Karakache) ? Et puis, par chance, nous finissons par traverser la couche nuageuse. Notre horizon se dégage partiellement pour entrapercevoir des conifères relativement disséminés. Avons-nous raté la forêt ?

    Descente d'un col vers Ak-Tal

    Au bas de la descente, notre itinéraire est régulièrement rejoint par des vallées glaciaires.

    Vallée glaciaire

    Comme nous sommes hors-programme, Azamat a appelé une famille qu'il connaît dans une petite bourgade pour lui demander l'hospitalité. Celle-ci a accepté même si elle n'a pas coutume de recevoir des touristes étrangers (c'est une des premières fois ou la première fois je n'ai pas compris). Notre véhicule atteint Ak-Tal en milieu d'après-midi et nous débarquons chez Nourgul et Talent. Rapidement, ils dégagent les deux chambres de leurs enfants pour nous laisser nous installer. Même Youri et Lena se réfugieront dans la salle à manger pour passer la nuit. Rapidement, ils nous offrent le thé et quelques tranches de pastèque. Nous allons être de vrais pachas !

    Avec Talent et son fils, nous partons d'abord vers le marché, investis par Lena d'une mission hautement importante : trouver des olives. En fait, ce sera mission impossible mais cela nous a permis de traverser le village de part en part. Nous passons dans un premier temps devant une pompe : l'eau courante n'arrivant pas dans les maisons, il est nécessaire d'aller régulièrement pomper de l'eau.

    Un peu plus loin, Talent nous montre le dispensaire du village. Ce sont des postes de secours qui permettent de pratiquer les premiers soins car les hôpitaux sont souvent à plusieurs heures de route. Mais lorsque le cas est suffisamment sérieux, l'acheminement vers la ville reste incontournable. Les médecins sont formés pendant 9 ans : 6 de formation générale et 3 de spécialisation.

    Nous entrons ensuite dans une école. Les salles de classe sont composées de pupitres en bois, de tableaux en ardoise et d'un panneau pour pointer la présence des élèves. Dans ce lieu, nous croisons un groupe d'observateurs internationaux venus préparer les élections parlementaires du 10 octobre prochain. Ils n'ont sûrement passé que quelques minutes sur place puis ont filé avec leur gros 4X4 de l'ONU soit vers Naryn, soit vers Bichkek. Pour ces élections, 29 partis sont en lice ce qui témoigne de la vitalité de cette jeune démocratie. Depuis notre départ de Bichkek, tous les panneaux d'affichage et de nombreuses clôtures de particuliers servent de supports à la campagne. Toutefois, tous les partis ne bénéficient pas de la même exposition et deux ou trois ressortent la plupart du temps.

    En sortant de l'école, nous sommes estomaqués par une vache qui ouvre le portail de l'école pour rentrer chez elle. Et contrairement à celle avec le chapeau ouzbek, nous l'avons tous vue et étions tous à jeun.

    Toujours sur notre chemin, le maire de la localité vient nous serrer la main et deux cavaliers s'arrêtent pour être pris en photo avec l'un de nous. Puis, nous sommes bluffés par un superbe clin d'oeil du destin (je crois qu'on aurait dû vérifier s'il n'y avait pas de tchapan dedans, non ?) :

    Camion Sixpäc

    Nous montons ensuite sur une hauteur pour surplomber la localité.

    Ak-Tal Ak-Tal

    Retour au bercail pour un débarbouillage sous la pluie. J'en profite pour vous présenter nos hôtes :

    - Nourgul est la femme du foyer. Elle travaille à l'école du village en tant que professeur de musique. C'est une remarquable chanteuse dotée d'une voix puissante mais elle ne souhaite chanter que pour sa famille.

    Nourgul

    - Son mari, Talent, est cultivateur et éleveur. Il reste davantage à la maison et a l'air -au moins partiellement- impliqué dans l'éducation de ses enfants. Ca change de l'Ouzbékistan !

    Talent et son fils

    - Tout deux ont une fille de 3 ans et un garçon d'un an et demi. La fille est également dotée d'une voie puissante tandis que le fils est un gourmand qui n'hésite pas à engloutir tout ce qui lui passe à portée des menottes. Nous ne l'avons vu que manger !

    La fille

    Pour le diner, Lena nous a mitonné une soupe Salienka du tonnerre comme à son habitude. Il reste également du poisson troqué à Jooker et Tolkun et du poulet jaune. Quant au dessert, encore une excellente pastèque comme tous les fruits de ce séjour !

    Mais le moment magique de la soirée intervient après le repas car Nourgul nous propose de nous chanter quelques unes de ses partitions, elle qui ne chante jamais en dehors de son foyer ! Comme elle ne fredonne pas tous les airs régulièrement, elle a besoin de les répéter un peu dans sa tête avant de se lancer pour retrouver la mélodie. Je lui propose donc de l'enregistrer pour lui faire parvenir une version numérique de ses chansons. Voici trois extraits de ce qu'elle nous a chanté :

    - Chanson pour sa mère :

     

    - Chanson de fête :

     

     - "Mon coeur" qui évoque la rencontre de jeunes gens qui "sont ensemble pour toujours" :

     

    Comment rester insensible devant un si beau cadeau ? Même si nous ne pouvons pas comprendre les paroles, Nourgul arrive, en chantant avec son coeur,  à nous transmettre un sentiment de joie ou, au contraire, de profonde tristesse. Personnellement, cette rencontre est celle qui m'a le plus marquée dans ce voyage et je regrette encore de ne pas avoir eu quelque chose à laisser pour les enfants comme l'a fait JC, plus prévoyant. Pour moi, grâce à ces enregistrements, Nourgul restera la voix du Kirghizistan.


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  • Samedi 18 novembre 2010 : Le retour de la neige

    Ce matin, il y a un peu d'effervescence dans la maison car Nourgul doit aller à l'école enseigner. Alors qu'en notre présence elle était tête nue, elle se couvre les cheveux d'un voile pour sortir. Comme je l'ai expliqué précédemment, cela signifie qu'elle est mariée.

    Après les adieux à Talent et aux enfants, nous partons emmener Nourgul à l'école. Enfin, en théorie parce que Youri l'a totalement oubliée et prend la route qui sort du village. En entendant quelques quintes de toux volontaires et rires, il prend toute la mesure de son étourderie et rebrousse chemin.

    Peu après, nous repartons dans notre direction première vers la ville de Naryn en longeant des formations rocheuses curieuses : 

    Formation rocheuse à la sortie d'Ak-Tal

    Il s'agissait à l'origine d'une ancienne garnison russe le long d'une rivière. Aujourd'hui, la ville compte 40 000 habitants et s'étale le long d'une rue principale. Elle est blottie au coeur d'une vallée encadrée de montagnes et de parois rocheuses.

    Nous profitons de cette halte d'approvisionnement pour visiter  le bazar de la ville et chercher si possible un tchapan pour G ("Tchapan ! Qui a dit tchapan ?"). Les stands sont entassés les uns sur les autres et les artères sont partiellement couvertes de toiles et de bâches qui masquent une partie du ciel.

    Marché de Naryn

    Les Kirghizes étant plus petits que moi en majorité, je suis obligé de rester sur mes gardes en permanence pour ne pas prendre un article dans la tête. Quelques boutiques occupent également des containers. Tout cela m'est familier et me rappelle les marchés mongols comme ceux d'Erdenet ou de Mörön.

    Nous reprenons la route en milieu de matinée et grimpons vers les sommets via un étroit couloir.

    Pied du col en sortant de Naryn

    Sur le bord de la piste défilent les statues représentant la faune locale (bouquetin, léopard des neiges, chameau ...). Le bas-côté est peu à peu saupoudré de neige dont la couche s'épaissit avec l'altitude. Le brouillard est également de retour et se fait de plus en plus dense. Nous nous retrouvons à nouveau à l'intérieur d'un cocon comme lors du début de la descente vers Ak-Tal la veille : plus rien n'est perceptible aux alentours.

    Terre rouge Rapace Dans le brouillard

    Notre véhicule progresse pourtant à allure respectable la piste étant large. Nous circulons actuellement le long de la célèbre Route de la Soie que nous avions abandonnée en Ouzbékistan. De Tachkent, elle gagne l'enclave du Fergana ouzbek puis kirghiz via Osh, remonte sur Naryn et rejoint Kashgar en Chine par Tash Rabat, le site où nous nous rendons. Les caravanes accomplissaient quotidiennement des étapes de 50 à 60km. Tous les 100km, elles trouvaient un caravansérail où les marchands se reposaient ou se relayaient. Elles étaient constituées selon le terrain de chameaux de Bactriane, de chevaux et/ou de yaks.

    Aujourd'hui, cette route renommée (une piste en réalité) est en cours de réfection : les Japonais ont remporté un appel d'offre et y exploitent des Chinois bon marché. De temps à autre, nous croisons ainsi un camp de toiles de tentes où logent les ouvriers.

    Nous dépassons également des cavaliers tel celui-ci coiffé du kalpak traditionnel, ce chapeau kirghiz en feutre, semblable à une montagne miniature :

    Cavalier kirghiz dans la neige

    Les mauvaises conditions atmosphériques nous contraignent à nous arrêter dans une sorte de restoroute dans lequel nous déballons notre pique-nique et le mangeons sans que cela ne semble poser de problème. A côté de nous, une tablée de Chinois bruyants et au comportement grossier nous dévisagent et nous prennent en photo avec leurs portables. Ils nous prennent pour un imam et un derviche itinérant occidentaux ou quoi ?

    Après de nombreux nouveaux kilomètres en ligne droite, nous bifurquons sur la gauche à un embranchement. Encore un peu de plat puis nous commençons l'ascension vers Tash Rabat (3100m d'altitude). Sur notre chemin, nous traversons un mince filet d'eau : l'un des deux affluents du Syr Darya, ce fleuve qui, au terme d'un périple de milliers de kilomètres, alimentait naguère la mer d'Aral. Aujourd'hui, cela arrive encore certaines années comme en 2010 mais au détriment des glaciers locaux ...

    De temps à autre, nous croisons un campement de boz-u isolés introduisant ainsi un peu de vie dans un paysage figé par le manteau neigeux.

    Campement de boz-u

    En prenant à chaque tour de roue davantage de hauteur, nous nous hissons enfin au niveau des pâturages à yaks car ces animaux ne peuvent vivre en-deçà d'une certaine altitude. Les premiers spécimens ne tardent pas à pointer le bout de leur museau. Ce sont des bêtes très craintives malgré leur robustesse. Une approche à pied serait donc difficilement envisageable. Par contre, dans notre véhicule, nous pouvons les côtoyer de près. Pour moi, ce moment est un clin d'oeil au Népal où j'avais également pu les rencontrer, évoluant majestueusement  sur des versants rocailleux.

    Yak

    Deux campements et une barrière plus loin, nous passons devant le caravansérail et poursuivons notre route car nous reviendrons demain. Nous terminons notre journée en fanfare un kilomètre plus loin : Youri arrache avec son camion le câble d'alimentation électrique ... "Oh la la ! Catastrophe !".

    Youri the Great !

    L'épaisseur de la neige atteint par endroit 10cm mais les flocons continuent de virevolter dans les airs.  Quelques cavaliers solitaires parcourent les étendues immaculées, rabattant leur troupeau vers la bergerie ou rendant visite aux voisins où ils sont accueillis par les aboiements des chiens.

    Nomade rabattant le troupeau Cavalière des neiges

    Nous dormirons ce soir dans un bâtiment en dur. Celui-ci fait face à un enclos à ovins. Le campement comprend également 3 boz-u et une roulotte occupée par la famille.

    Roulotte

    La fin d'après-midi est passée à jouer au Uno où un insolent s'impose pour la troisième fois en trois jours. Un tel affront défiant toutes les probabilités, nous prenons une mesure radicale : Azamat est désormais l'homme à abattre. Et la solution est toute trouvée puisqu'il est le seul à craindre les chatouilles. Notre stratégie se met progressivement en place et nous parvenons à gagner davantage.

    Nous passons également une partie du début de soirée à nous renvoyer le chat de la famille qui s'intéresse un peu trop à la préparation du repas ou vient squatter nos places. Comme aucun d'entre nous n'apprécie plus que ça ces animaux égoïstes, il finira dehors.

    En début de soirée, nous sortons une dernière fois. La couche de neige atteint désormais 20cm. La randonnée du lendemain vers le lac Chatyr Koul -8h de marche et 1800m de dénivelé aller-retour - est remise en cause, le col nous en séparant étant impraticable.  Youri et Lena nous laissent à nos Uno et partent voir leurs amis en contrebas, ils ne rentreront que très tard. En outre, Youri sera forcé de faire tourner le moteur toutes les deux heures pour que l'essence ne gèle pas : il fait -12°C dehors, ce qui est rude après les 37 à 40°C enregistrés il y a une semaine en Ouzbékistan. 


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    Dimanche 19 septembre 2010 : une journée de détente à la montagne

    Notre première décision aujourd'hui est de réhabiliter le chat. On parle de vie de chien mais ce qu'a connu cette bestiole depuis hier soir est plus traumatisant : soit dans le sas d'entrée soit dehors (?). En même temps, ce n'était pas très intelligent de venir se frotter à une bande de personnes hostiles à ce type d'animaux de compagnie. Pour me racheter partiellement, j'en prendrai un peu soin aujourd'hui et nous le laissons s'installer dans la chambre (surtout tant que c'est sur le duvet des autres ... mais il testera aussi le mien).

    En sortant faire un brin de toilette, je peux constater que le niveau de neige est resté le même. La bergerie mitoyenne de notre habitation a fait le plein :

    Bergerie

    Les habitations en dur (maison, roulotte) ou en toile sont couvertes de neige.

    Notre habitation

    Sans parler de la vie qui semble s'être arrêtée à l'image de ces vêtements enneigés et gelés :

    Vêtements à faire sécher ...

     

     

    Peu à peu, le beau temps reprend l'ascendant sur les premières morsures de l'hiver. Un beau soleil vient illuminer les alentours, les animaux sont sortis de leur enclos, la vie reprend son cours ...

     

     Le retour du soleil Sommets enneigés Boz-u recouvert de neige Traces de roues dans la neige Sesim dans sa roulotte 

    En France, je travaille dans les énergies renouvelables : avec mes collègues, nous produisons du vent (dans le sens des choses inutiles). Au cours de ce voyage, j'ai voulu changer de voie et me suis lancé dans de nouveaux métiers : derviche itinérant d'abord mais les perspectives n'étaient pas réjouissantes, puis cosmonaute mais Spoutnik n'a jamais pu décoller comme nous l'avons vu. Je décide donc aujourd'hui de me lancer dans plusieurs tentatives : guide touristique canin, artiste, jockey et lugeur. En effet, nous n'aimons peut-être pas les chats mais pour les chiens, il en va autrement et le campement en possède plusieurs. Je flashe personnellement sur un petit chiot téméraire qui ne craint pas d'aller découvrir le monde. Je le charge donc dans mes bras et l'emmène avec nous et le reste de la "meute" à la découverte du caravansérail de Tash Rabat.

     

    Ce monument aurait eu plusieurs vocations : d'abord église nestorienne (branche du christianisme présente en Asie) puis caravansérail. Il est resté longtemps partiellement enfoui jusqu'à sa redécouverte il y a un peu moins de 30 ans. Il serait composé de 33 ou 34 cellules qui pouvaient abriter jusqu'à 200 personnes.

     Caravansérail de Tash-Rabat Caravansérail de Tash-Rabat

    Celles-ci s'articulent autour d'une grande salle située juste à la verticale de la coupole. Dans les ailes, se trouvent également des salles à manger-dortoirs ainsi qu'un zindan (=les sympathiques geôles grouillantes de bestioles affamées) et des souterrains dont un conduirait en Chine.  

    Caravansérail de Tash-Rabat - Intérieur Caravansérail de Tash-Rabat - Intérieur de la grande salle

    Mais être un explorateur en herbe ça épuise son chiot et il ne tarde pas à s'écrouler dans mes bras.

    Chiot aventurier

    Nous ramenons la clé du site à sa propriétaire dans le campement voisin puis remontons vers notre hébergement. Parvenus à proximité, nous croisons une caravane de yaks qui descendent à pas cadencés vers de meilleurs pâturages. La scène est vraiment magique et digne d'un remake du film Himalaya l'enfance d'un chef. Seule la présence de yourtes au premier plan rend le rapprochement moins évident, même si elle renforce l'atypisme du tableau à mes yeux d'occidental.

    Caravane de yaks Yaks dans la neige Yaks & yourte  

    Je dépose le chiot à domicile après l'avoir tiré de sa profonde léthargie puis rejoins le reste du groupe. Nous vous avons caché notre don jusqu'à présent mais vient le moment de le révéler au grand-jour : nous sommes les nouveaux Michel-Ange, Rodin ... Et voici notre création la plus aboutie : la Vénus au Grand Coeur exposée en avant-première mondiale sur les sommets kirghizes. Quelle classe ! Tout le savoir-faire accumulé depuis plusieurs décennies par la fine fleur artistique réuni en une seule oeuvre !

    La Vénus au Grand Coeur

    Bon, je vous l'accorde il manque juste les jambes pour qu'elle soit parfaite.

    Après ce moment créateur bienvenu, nous marquons une courte pause d'une heure avant de prendre un peu de hauteur sur les environs. Mais le sommet que nous avons choisi est trompeur car à chaque fois que nous croyons atteindre sa cime, une autre apparaît derrière. Un tintement de casserole nous invite de plus à redescendre pour savourer le repas de Lena. Nous rebroussons donc chemin et sommes traitreusement attendus pas un comité d'accueil kirghize tirant à boule réelle. C'est fou où l'homme peut en arriver pour gagner au Uno, surtout qu'avec moi il ne craint rien !

    Ayant déjà rendu hommage à Azamat et Youri, je me dois également de remercier grandement Lena pour sa cuisine d'abord mais également pour ses facéties avec Youri lorsqu'il est au volant, décharge le camion ou quand elle fait les courses. Spassiba bolchoï ! 

    Lena

    Il reste à trouver de quoi occuper trois touristes sanguinaires prêts à tout pour détrôner le Seigneur des Unos. Et comme à son habitude, Azamat nous propose la meilleure solution : nous allons faire une randonnée à cheval puisque nous ne pouvons pas nous déplacer à pied facilement. Un de mes deux grands regrets en Mongolie avait été de ne pas pouvoir tenter l'expérience en toute autonomie. 12 mois plus tard, la fortune me sourit et je vais enfin pouvoir monter dans un autre grand pays nomade. Le pied pour une première surtout avec la neige !

    Azamat nous donne les règles de survie : "tchou tchou" c'est pour avancer et "bRRrr" c'est pour s'arrêter. Nous voilà partis pour une petite balade des plus agréables, jusqu'à ce qu'un cheval du groupe se mette en grève et refuse de traverser une rivière (il ne serait pas un peu français par hasard?). Nous changeons donc notre parcours et partons vers le monastère de Tash Rabat en aval. Nos chevaux accélèrent légèrement le rythme. Surpris, j'en perds mon kirghiz au point de ne cesser de crier sur tous les tons "tchou tchou" au cheval sans comprendre pourquoi il s'arrête pas ! Faute d'erreur !  "Tchou tchou" signifiant "vas-y"... C'était quoi déjà la blague du dromadaire qu'Azamat nous a raconté à midi ?  

    Derrière, la même tête brûlée traîne les pattes. Notre pauvre JC reste ainsi à plusieurs encablures de nous et nous sommes amenés à faire des allers-retours. Nous profitons également de nos montures pour approcher les yaks de ce matin de bien plus près. A l'approche du campement, Azamat lance son cheval au galop, deux des nôtres suivent à peine moins vite. Pour moi, ça va mieux. Jusqu'à ce qu'au dernier tournant, le cheval de tête dérape et nous gratifie d'une magnifique glissade. Azamat conserve de main de maître l'équilibre. Par contre, l'obstacle se rapproche rapidement. Je ferme les yeux et me voue à tous les saints. C'est fini tout s'arrête. Je descends du manège. Ouf, il était moins une !

    A cheval 

    Après avoir fait trimer les chevaux (un dimanche en plus !), vient mon tour de me dépenser tout comme G. Nous sommes recrutés par les enfants du campement pour animer la première attraction du futur Disneyland local : la luge de la mort. Ce nom ne renvoie pas au fait que la descente soit dangereuse mais plutôt à l'état dans lequel on se trouve après avoir fait l'andouille en courant pendant 30 minutes à 3000m d'altitude et dans 15 cm de neige. A en devenir asthmatique mais qu'est-ce que c'était drôle !

    Laissez-moi vous présenter les futures terreurs que la Kirghizie enverra aux JO de Sotchi (terreurs pour les autres car pour nous c'était des anges) : Akmard est le plus jeune et le moins casse-cou des trois. Il préfère pour le moment regarder l'équipe depuis le bord de la piste et découvrir les boules de neige. Alikhan dont les poses devant l'appareil sont mémorables. Il tentera l'aventure durant plusieurs descentes avant de jeter l'éponge et de rentrer également comme son petit frère à la roulotte. Enfin, la plus téméraire et la plus ouverte : Sesim, avec qui nous avons passé le plus de temps. Quel dommage que la barrière de la langue soit plus dure à franchir que les reliefs enneigés !  Voici notre podium du coeur à Tash Rabat :

    Akmard, Sesim et Alikhan Sesim et Akmard Alikhan

    Nous allons ensuite partager le goûter avec Sesim puis nous séparons. C'est bon G., on peut s'écrouler, on ne perdra plus la face. Le reste de la soirée sera presque conventionnel à ceci près que l'équipe locale sera "obligée" de s'absenter quelques minutes pour aller prêter main forte à une amie dont le camion est bloqué dans la neige.

     


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