• De la famille de la gorge de Karakache à la yourte de Tovkun, la jeune fromagère des steppes

    Jeudi 16 septembre 2010 : nuit sous la yourte et découverte de Spoutnik

     Ce matin après le petit-déjeuner et le pliage des tentes, nous sommes de nouveau attendus chez la famille semi-nomade d'hier soir. Ils aimeraient bien qu'on les prenne en photo et qu'on leur fasse parvenir les clichés. Ce sera chose faite d'ici quelques jours non seulement pour eux mais pour tous les locaux qui m'ont touché au cours de ces pérégrinations.

    Famille à l'entrée de la gorge de Karakache Famille à l'entrée de la gorge de Karakache Famille à l'entrée de la gorge de Karakache

    Après ces quelques prises que nous leur montrons sur nos écrans LCD, nous retournons à l'intérieur voir une machine plutôt étrange : elle permet de séparer le lait de la crème. La famille possède un troupeau de 6 vaches qui lui donnent quotidiennement 20 litres de lait en plusieurs traites. Le lait encore chaud voire réchauffé est versé dans cette machine où il passe par un filtre. La crème, plus lourde, va au fond et sort d'un côté de l'appareil tandis que le lait allégé s'écoule d'un autre côté. La machine nécessite une intervention humaine pour faire tourner une manivelle. 10 litres de lait permettent de produire 1 litre de crème.

    Séparation du lait et de la crème  

    La crème peut être consommée telle que ou être chauffée au chaudron pour fabriquer le beurre.

    Pour élaborer un fromage, il faut attendre 5 à 6h après la traite. Le lait est ensuite passé dans un sac à mailles fines qui laisse couler le petit lait. La pâte retenue par le sac est ensuite laissée à sécher sur le toit avant de confectionner des boules de fromage comme nous le verrons d'ici quelques paragraphes.

    Le fromage peut être utilisé comme ferment pour préparer le yaourt tandis que le petit lait est laissé à fermenter pour donner une boisson légèrement alcoolisée.

    Avec ces explications succinctes mais fort intéressantes, nous quittons nos hôtes pour repartir sur les sentiers kirghizes. La piste que nous suivons doit nous emmener au sommet d'un col débouchant sur le lac Song Koul. Mais c'est également la route menant à une grande mine à ciel ouvert balafrant le paysage montagnard. Et cette piste est fréquentée jour et nuit par des camions se rendant ou revenant de la mine.

    Mine balafrant le paysage

    Franchi le sommet de ce massif, nous apercevons au loin l'étendue bleutée du Song Koul se détachant d'un océan de steppe et de collines. Quelques yourtes ponctuent cette fresque, semblables à quelques champignons blancs sortis du sol.

    Arrivée au Song Koul Arrivée au Song Koul Arrivée au Song Koul - Yourtes

    Le Song Koul est une étendue lacustre s'étendant sur 20km de long et 12km de large mais il est très peu profond (15m maximum). Il se situe un peu au-dessus des 3000m et est donc gelé une partie de l'année sur une épaisseur de 3 mètres. Les véhicules peuvent alors passer dessus sans risque. Le lac est ceint d'une couronne de montagnes culminant à plus de 4000 mètres pour les plus hautes.

    Nous rejoignons le bord du lac et nous arrêtons chez Tolkun, Zamira et Jooker. Ils possèdent quatre yourtes et en mettent trois à notre disposition. Tolkun est une jeune fille de 16 ans environ qui est venue aider quelques jours son père Jooker alors qu'elle devrait encore être sur les bancs de l'école. Quant à sa mère, Zamira, elle est actuellement absente et son retour nous est annoncé pour le lendemain.

    Notre camp de yourtes au Song Koul Tolkun Jooker 

    Nous nous installons dans le camp à trois sous la grande yourte, JC dans la petite et Youri et Lena dans le camion. Ils ne s'en extirperont qu'à deux reprises durant le voyage. 

    Je ne reviendrai pas sur le montage de la yourte que j'ai déjà expliqué en détails et photos à l'appui sur mon blog de Mongolie. Mais quelques différences existent entre les deux pays : en Kirghizie, le trou pour le poêle est ménagé sur le côté et les 80 perches ont une extrémité inférieure courbée alors qu'elle est droite en Mongolie. Pour le reste, la technique est la même et l'aménagement intérieur également : peu de meubles en général (un coffre pour les habits, une cuisinière/poêle pour le chauffage et la cuisine, une armoire pour mettre les objets de culte et les photos de la famille au fond).

    Intérieur de la yourte

    L'ouverture sommitale est appelée tunduk. Elle sert à faire entrer la lumière dans l'habitation et peut être bouchée en cas de précipitations ou de neige. Elle est barrée par deux rangées de bois entrecroisées. Ce motif est particulièrement symbolique au Kirghizistan et figure d'ailleurs sur le drapeau national.

    Après l'intérieur, nous faisons le tour du propriétaire et ne pouvons éviter plus longtemps la navette spatiale Spoutnik :

    Spoutnik

    Désirant plus que tout devenir touristes de l'espace à bord de cette capsule mythique, nous nous inscrivons auprès de Jooker pour le vol du soir. Hélas les mauvaises conditions météorologiques (vents forts) nous contraindrons à repousser le vol de 12h. Je vous propose en attendant de découvrir en avant-première l'intérieur de notre capsule high-tech : son réacteur à propulsion hydraulique et un siège ergonomique étudié spécialement pour un plus grand confort au décollage.

    Spoutnik - Déouverte de l'intérieur de la capsule

    Comment ça "ben c'est une douche !" ? Vous ne pourriez pas continuer de nous laisser rêver encore un peu ?

    Nous retournons donc près des yourtes de la famille et nous approchons de Tolkun qui prépare de petites boules de fromage appelées kourouts. Installée sur son tabouret, elle prend un morceau de pâte semi-séchée qu'elle roule dans le creux de sa main. Il sera ensuite mis à sécher à l'air libre, éventuellement sur le toit de la yourte. Quant à son goût inimitable et son fort caractère, je vais les décrire dans quelques lignes.

    Camp de yourte Tolkun  

    Toujours en raison du vent, il n'est pas question de faire une promenade à cheval aujourd'hui (pensez-y si Spoutnik doit rester à terre !). Nous nous rabattons alors sur la marche à pied à la rencontre DES nomadeS.

    A la différence des terres cultivées qui sont possédées par leurs exploitants, les pâturages des nomades sont loués pour une durée de 49 ans à un prix de 800 soms par an et par hectare (soit 13,3€). Chacun connaît donc bien l'étendue de sa parcelle et celle de ses voisins.

    Nous atteignons un nouveau "camp" de 4 yourtes ou boz-u (le premier terme "yurt" est russe, "boz-u" kirghiz et "ger" mongol). Une femme nous invite à entrer dans l'une d'elles. L'agencement et la symbolique à l'intérieur sont les mêmes qu'en Mongolie : les invités s'assoient à l'ouest, les femmes à l'est; les deux poteaux qui soutiennent l'anneau du toit sont sacrés et il ne faut rien faire passer au milieu; les personnes installées au fond du boz-u ont plus d'importance que celles près de la porte; le foyer du poêle est également sacré et il ne faut pas y brûler d'impuretés...

    Autre campement nomade

    Nous nous voyons offrir à boire et à manger et, comme nous sommes respectueux des règles de l'hospitalité, goûtons à ces produits. Je vais tenter de vous les décrire. La boisson est nommée kumiss : c'est du lait de jument fermenté, l'équivalent de l'aïrak mongol. Une vraie boisson nationale pour les nomades. Sa saveur principale au départ est celle d'un laitage puis le goût fermenté se manifeste à son tour semblable à l'arôme du saumon fumé. Le tout étant légèrement alcoolisé et fort, je passe mon tour et mes compagnons aussi. En vertu des règles de l'hospitalité, Azamat va donc devoir finir le bol. "C'est toi le Kirghiz quand même ! Courage ! Une gorgée pour maman, une autre pour papa puis une pour chacun de tes 50 cousins et cousines ..."  Notre guide réussira avec brio sa mission mais ce n'est pas encore fini, il faut à présent découvrir enfin le goût de ces boules de fromage. A cette occasion, je vais retrouver toute l'émotion du gâteau au fromage du Platane à Samarkand, 12 jours plus tôt. Déjà ne tentez l'expérience que si vous avez de bonnes dents car le fromage est plutôt dur dans le genre vieille mimolette. Je me mets à croquer gaiement (ça reste des vacances après tout) et le merveilleux effet kiss-cool produit son effet. Un arôme très dominant de sel envahit votre palais puis un arrière-goût de fromage rance. Il ne vous reste alors plus qu'une solution : vous enfiler une barrique de kumiss mais c'est plutôt proscrit pour les occidentaux. Sinon, vous pouvez aussi garder une haleine de phoque toute l'après-midi.

    D'un commun accord avec Azamat, nous décidons de ne pas éprouver davantage la générosité des Kirghizes et de transformer la "rencontre DES nomadeS" en "visite DE nomade(s)". Nous partons ainsi à l'assaut de vallons dont la pelouse mélange différents teintes de vert, l'herbe ayant grillée par endroit. A l'arrière-plan apparaissent des sommets enneigés et un ciel bouché.

    Promenade sur les hauteurs du Song Koul Promenade sur les hauteurs du Song Koul

    Au cours de l'ascension, nous continuons à évoquer la vie locale :

    - la retraite (sujet d'actualité s'il en est) est à 63 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes. Tout au long de la vie active, les travailleurs cotisent (dans le public au moins) et/ou épargnent en prévoyance. En revanche, ce système n'est pas réaliste pour les nomades : ceux-ci travaillent tant que leurs forces leur permettent de le faire. Une fois devenus trop âgés, ils sont entretenus par leur fils cadet qui prend la relève et doit rester vivre avec ses parents. En contrepartie, il héritera de tous les biens sauf du bétail qui sera réparti entre le reste de la fratrie.

    - intimement lié à la vie nomade, il subsiste toujours dans quelques contrées du pays les buu ou chamans. Ceux-ci entrent en transe pour communiquer avec les esprits et pouvoir trouver la solution à des maux ou prédire l'avenir. La cérémonie est très bien décrite par Corine Sombrun dans son ouvrage sur la Mongolie. Mais les buu ont également une autre compétence : ils sont des médecins de talent connaissant parfaitement l'usage de chaque herbe ou plante pour fabriquer des remèdes. Aujourd'hui des charlatans profitent de la crédulité de certains en se faisant passer pour des buu. C'est notamment le cas à Bichkek.

     

    Parvenus au sommet, nous marquons un arrêt pour contempler les alentours et le lac. Ses abords parfois marécageux sont peuplés de grues, de mouettes et de canards. La pêche est pratiquée à cet endroit : pêche à la ligne surtout mais également au filet alors que c'est interdit pour préserver les espèces sous-marines. Certains pêcheurs n'hésitent pas non plus à s'y rendre de nuit en bateau. Mais ils encourent alors un risque de se faire renverser par une vague : diverses noyades ont été enregistrées pour ce motif.

    Promenade sur les hauteurs du Song Koul

    Nous ne sommes pas très haut et pourtant nous pouvons apprécier l'immensité du plateau s'étendant sous nos yeux (je rappelle que la largeur du lac est supérieure à 10km). Les yourtes en bas sont celles où nous avons pu "faire le plein" avant la montée.

     

    L'après-midi n'étant pas encore achevée à notre retour au camp et Spoutnik étant inutilisable aujourd'hui, nous introduisons dans notre quotidien une activité nouvelle qui aura des répercussions sur la vie et le comportement de notre groupe de 6 : le Uno. Pour cette première partie (en 13 manches), Azamat s'impose relativement aisément tandis que je peine à ouvrir le score, ma bonté naturelle m'obligeant à laisser gagner les autres. De temps à autre, nous sortons dehors assister à l'embrassement du paysage par le soleil couchant. Toutes les teintes se mettent à changer.

    Coucher de soleil au Song Koul

    Le repas est pris dans un troisième boz-u mieux équipé pour la cuisine. Là encore, nous inaugurons une nouvelle tâche qui deviendra répétitive : mettre fin aux coupures intempestives de courant dues à un culot de l'ampoule trop petit par rapport au pas-de-vis. Youri nous divertit en faisant monter les enchères pour ceux qui souhaitent recharger leurs batteries d'appareil photo sur celle du camion. Je suis épargné car très bien équipé de ce côté-là. 

    Pour chauffer les boz-u, Tolkun insère régulièrement dans les poêles des bouses séchées. La combustion ne dégage aucune odeur et l'air se réchauffe assez vite, la surface de l'habitation ne dépassant pas les 20m². Nous nous endormons ce soir en toute quiétude avec comme compagnons le crépitement des dernières braises et la danse des flammes sur la toile du boz-u.


    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :